Introduction
Les données révélées par l’Office Français de la Biodiversité indiquent une tendance préoccupante : au cours des 12 dernières années, environ 7 800 petits barrages en rivière ont été partiellement détruits, tandis que 4 300 ont été complètement démolis. Cette politique de destruction, sous le nom de « renaturation des rivières », vise à restaurer les cours d’eau à un état prétendument naturel en éliminant ces anciens ouvrages, principalement des chaussées de moulins à eau et des digues d’étangs.
Cependant, cette approche simpliste ignore le rôle vital que ces petits barrages jouent dans l’écosystème des rivières françaises. En effet, ces structures, bien que construites par l’homme, présentent une continuité historique et écologique remarquable avec l’état initial des cours d’eau lorsque les castors étaient abondants en Europe. Ces barrages anthropiques stockent l’eau, régulent les débits, réduisent les risques de crues, et favorisent la biodiversité en créant des habitats variés pour de nombreuses espèces aquatiques et terrestres.
Malgré l’interdiction de la destruction des chaussées de moulins à eau établie par la loi « climat – résilience face aux effets du dérèglement climatique » votée en août 2021, les agences de l’eau continuent à encourager financièrement leur démolition. Cette politique contradictoire souligne le besoin urgent de reconsidérer l’approche de gestion des cours d’eau en France.
Pour sensibiliser davantage sur ce sujet, un ouvrage collectif exhaustif dirigé par MM. Christian Lévêque et Jean-Paul Bravard, intitulé « La gestion écologique des rivières françaises – Regards de scientifiques sur une controverse », offre une perspective éclairante basée sur plus de 400 études scientifiques. Comme l’a souligné Christian Lévêque dans un article du Figaro en septembre 2020, l’approche actuelle qui préconise la destruction de tout ce qui a été modifié par l’homme conduit à des erreurs et des aberrations.
Depuis les barrages de castors jusqu'aux barrages de moulins, les rivières françaises témoignent d'une remarquable continuité historique et écologique.
Depuis l’apparition de l’espèce castor il y a plus de 7 millions d’années sur le continent européen, son influence sur les rivières françaises a été marquante. Vers le XIème siècle, au moment où les castors semblaient disparaître en France, nos ancêtres ont commencé à ériger des milliers de petits barrages, dont la taille était similaire à celle des barrages de castors. Le terme « bief », utilisé pour désigner le canal dérivé de la rivière pour alimenter le moulin, dérive du mot « bièvre », qui signifie castor.
Les barrages de castors peuvent parfois mesurer plus de 4 mètres de haut. En Suisse, où leur réintroduction a débuté dans les années 1950, certains barrages atteignent jusqu’à 3 mètres de hauteur. Cette succession de barrages de castors a des effets positifs sur de nombreux aspects de la gestion de l’eau, notamment la rétention d’eau, l’alimentation des nappes phréatiques, l’atténuation des crues, le développement de la biodiversité et la dépollution des eaux.
Des études scientifiques, telles que celle de Puttock et al. en 2017, ont souligné l’importance de ces structures pour les écosystèmes alluviaux et forestiers de l’hémisphère nord. Les barrages de castors modifient l’environnement naturel depuis des millions d’années, favorisant la création de zones humides, l’augmentation de la biodiversité et la régulation des cycles biogéochimiques. Des études comparatives entre les barrages de castors et les petits barrages humains ont également révélé des effets similaires sur les écosystèmes, soulignant ainsi le rôle crucial de ces structures dans la préservation des cours d’eau et de leur biodiversité.
La démolition des chaussées de moulin entraîne une augmentation des pénuries d'eau, une extension des périodes de basses eaux estivales et des conséquences néfastes sur les écosystèmes.
En juillet 2021, M. Pierre Potherat, géologue et ancien ingénieur en chef des travaux publics de l’État, a publié un ouvrage intitulé « Si les truites pouvaient parler », où il explore les conséquences de la destruction des petits barrages de moulin sur les rivières de la Seine amont et de l’Ource (Côte d’Or). À travers ses recherches, il a constaté une diminution significative des populations de truites, directement attribuable à la baisse des niveaux d’eau consécutive à la vidange des retenues amont.
Ce processus de vidange des retenues amont a été amplifié par l’effet érosif du courant, entraînant une baisse continue de la cote au fil de l’eau. Cette diminution progressive des niveaux d’eau a abouti, pendant les mois d’été, à une vidange totale de la nappe alluviale, ce qui a provoqué une augmentation des assecs estivaux, désormais plus fréquents et prolongés dans le temps. La diminution de la recharge des nappes alluviales a également eu un impact néfaste sur les sources du versant, affectant ainsi l’ensemble de l’écosystème local.
Potherat souligne l’urgence de rétablir la nappe
alluviale en relevant les niveaux d’eau, et il appelle à une action rapide pour restaurer certains ouvrages effacés. Ces constatations sont étayées par les observations de Jacques Mudry, docteur d’État en hydrogéologie, qui met en évidence les conséquences cumulatives des politiques de recalibrage des cours d’eau et d’effacement des seuils. Ces politiques ont favorisé l’érosion, entravé la recharge des nappes et accéléré l’évacuation des crues, ce qui a aggravé les phénomènes d’assec estival.
D’autres études, telles que celles menées par Podgorsky et Schatten en 2020, confirment ces constatations en mettant en évidence des changements significatifs dans les ressources en eau après le démantèlement des moulins à eau. Ces changements comprennent notamment la perte de capacité de rétention d’eau dans certains bassins versants et la baisse du niveau des eaux souterraines à proximité des anciens réservoirs d’eau. En outre, l’étude de Depoilly et Dufour en 2015 révèle une diminution notable de la croissance des arbres de la ripisylve suite à la suppression des ouvrages, soulignant ainsi l’impact sur la végétation riveraine.
La destruction des chaussées de moulin et autres retenues aggrave la pollution des eaux
Toutes les études scientifiques concordent sur le rôle de dénitrification des eaux ralenties par les petits barrages de castors ou de moulins, affectant les nitrates et autres dérivés polluants. Des extraits d’études de référence illustrent cette affirmation :
Une étude dirigée par M. Pinay et ses collaborateurs du CNRS, d’IFREMER et d’IRSTEA en 2017, souligne que tout mécanisme permettant de ralentir le flux d’eau dans la rivière et de favoriser les échanges avec les sédiments, comme la présence de seuils (petits barrages), de méandres ou de chenaux secondaires, favorise également l’épuration de l’azote par dénitrification.
Une étude conjointe du CNRS, du PIREN SEINE et de l’Agence de l’eau Seine Normandie en 2011, menée par M. Billien et ses collaborateurs, met en lumière l’efficacité de la restauration ou de l’augmentation du pouvoir de rétention des zones humides riveraines et des zones stagnantes telles que les mares et les retenues dans l’élimination des nitrates, même provenant de sources diffuses.
L’étude de Powers et al. en 2015 souligne que bien que la construction de grands barrages ne soit pas recommandée pour améliorer la qualité de l’eau, les petits barrages et réservoirs peuvent être gérés de manière adaptée pour retenir les nutriments et fournir d’autres services écosystémiques, surtout dans des paysages fortement modifiés par l’agriculture.
Enfin, une étude menée par Francesco Donati, Laurent Touchart, Pascal Bartout et Quentin Choffel en 2020 met en évidence le potentiel des retenues de seuil pour écrêter les polluants. Ces retenues peuvent devenir des alliés importants dans la lutte contre les substances polluantes, conformément aux recommandations législatives telles que la Directive Cadre sur l’Eau de 2000, après la mise en place de stratégies de gestion appropriées.
Les départements de l'Agriculture des États-Unis et du Canada favorisent la construction de petits barrages en rivière afin de maintenir la disponibilité en eau, atténuer les risques de crues et purifier les eaux.
Le Ministère américain de l’Agriculture et les écologistes aux États-Unis promeuvent la construction de « petits barrages » comme une solution pour maintenir la présence d’eau, surtout pendant la saison sèche. Selon une citation traduite, la restauration des cours d’eau à l’aide de barrages de castors ou de structures similaires permet de transformer les cours d’eau intermittents en cours d’eau permanents à long terme.
De même, le Ministère canadien de l’Agriculture encourage la construction de petits barrages pour plusieurs raisons, notamment pour atténuer les inondations et réduire la pollution, notamment les excès d’azote et de phosphore. Comme indiqué dans une citation traduite, les petits barrages en terre construits par les agriculteurs peuvent non seulement diminuer les débits de pointe en aval et les inondations associées dans les bassins versants agricoles, mais aussi réduire de manière significative les charges de sédiments, d’azote et de phosphore dans les cours d’eau. En conséquence, la construction de ces petits barrages est perçue comme une mesure efficace pour améliorer la qualité de l’eau et la gestion des ressources hydriques dans les régions rurales.
Petits barrages et poissons migrateurs
Les petits barrages jouent un rôle crucial dans le maintien des populations de poissons migrateurs. Les études menées sur les barrages de castors en Amérique du Nord montrent que ces structures, en préservant d’importants volumes d’eau dans les rivières pendant les saisons sèches, fournissent un refuge vital pour les alevins de ces espèces, qui peuvent ainsi se protéger et se nourrir dans les retenues formées. Comme le souligne une citation de Wikipedia française, les barrages et leurs mares bénéficient non seulement aux espèces des eaux lentes et chaudes, mais aussi étonnamment aux salmonidés et aux ripisylves.
De plus, les poissons migrateurs ont développé des capacités adaptatives pour franchir les petits barrages.
Par exemple, le saumon est capable de sauter jusqu’à 2 mètres, voire 3,5 mètres selon les espèces, tandis que la truite peut sauter jusqu’à 1,8 mètre à l’âge adulte et contourner les barrages par le biais des vannages.
Des études telles que celles de MM Chanseau et al. ou de MM Ovidio et al. se sont spécifiquement penchées sur le franchissement des barrages par le saumon et la truite des chaussées de moulins.
Au XVIIIe siècle, les rivières de France étaient incroyablement riches en poissons, y compris les poissons migrateurs, comme en témoigne le traité de pêches de l’académicien Duhamel du Monceau en 1770.
Cependant, la disparition du saumon de la Seine, étudiée par M. Louis Roule au début du XXe siècle, n’était pas attribuable aux chaussées de moulins.
Selon ses travaux, les anciens barrages n’étaient pas très préjudiciables au passage des saumons, contrairement aux barrages actuels.
En ce qui concerne l’effondrement récent des populations d’anguille et d’alose en France, il est important de noter que cela n’est pas imputable aux petits barrages de moulins. Avant 1984, l’anguille était considérée comme nuisible en raison de sa surabondance dans les rivières, alors que les moulins étaient plus nombreux qu’aujourd’hui. De même, la diminution des populations d’alose dans la Garonne et ses affluents depuis les années 1990 ne peut être attribuée aux chaussées de moulins.
Conclusion
Les données historiques, les études scientifiques récentes, les rapports d’assèchement des cours d’eau relayés par la presse, ainsi que les documents administratifs français, américains et canadiens convergent pour mettre en évidence l’importance cruciale des petites retenues d’eau en rivière dans la gestion des ressources hydriques dans les régions de l’hémisphère nord. Ces petites retenues jouent un rôle vital dans le stockage des eaux dans les nappes alluviales et profondes, la préservation des eaux de surface pendant les périodes de sécheresse estivale, le maintien des zones humides et des milieux aquatiques, l’amortissement des crues et la dépollution.
Comme le souligne M. Pierre Potherat, un kilomètre carré de plaine alluviale peut stocker plus de 250 000 mètres cubes d’eau douce par mètre. La destruction d’une chaussée de moulin entraîne une baisse du niveau de l’eau dans la rivière et une augmentation des vitesses d’écoulement, ce qui conduit à la diminution de la nappe alluviale et ultimement à la disparition des zones humides riveraines, à une réduction des débits d’étiage et à la survenue d’assecs estivaux, surtout en amont du bassin, avec pour conséquence la détérioration des milieux aquatiques.
Les quelque 10 000 destructions totales ou partielles de retenues d’eau en rivière, principalement constituées de chaussées de moulins, ont non seulement aggravé les pénuries d’eau dans les bassins concernés, mais aussi mis en péril les écosystèmes naturels. Malgré cela, les Agences de l’eau françaises continuent de subventionner largement la destruction de ces retenues d’eau, une politique qui va à l’encontre des besoins pressants en eau exprimés par de nombreuses régions. Les étés 2019, 2020 et 2022 ont été marqués par des sécheresses sévères dans plus de trois quarts des départements métropolitains français, entraînant des restrictions d’utilisation de l’eau et des pénuries d’eau potable dans plus de 100 communes en 2023.
Un rapport sénatorial souligne la nécessité de stocker davantage d’eau en France, rappelant que le pays ne stocke que 4,7 % du flux annuel d’eau, contre près de 50 % pour l’Espagne. Malgré ces constats, la France persiste dans une politique hostile à la création de réserves d’eau supplémentaires, préférant consacrer des fonds publics considérables à la destruction de milliers de petites retenues traditionnelles, ce qui contredit les données scientifiques.
La réhabilitation des moulins à eau en France, susceptible de répondre aux besoins énergétiques de millions de personnes, se heurte malheureusement à cette idéologie persistante de « renaturation/destruction » qui prévaut dans les instances de gestion de l’eau. Cette approche, éloignée des enseignements de la science, constitue une véritable barbarie, ignorant un héritage remarquable de civilisation des eaux qui a coexisté pendant des siècles avec une abondance exceptionnelle de poissons.