Introduction
Au cours des dernières décennies, la France a assisté à la destruction de milliers de petites retenues d’eau dans le cadre de la politique de « restauration de la continuité écologique ». Ces retenues, qui comprennent des seuils de moulins et des digues d’étangs, sont des installations traditionnelles présentes depuis longtemps sur notre territoire. Cette politique a été réglementée par l’article 49 de la loi « climat résilience face aux effets du dérèglement climatique », visant à interdire cette pratique en raison de ses effets préjudiciables sur nos ressources en eau et nos écosystèmes naturels.
Cependant, contrairement aux grands barrages érigés dès le XIXe siècle en France, dont la construction a entraîné la disparition du saumon, les petits barrages traditionnels jouent un rôle crucial dans la préservation des ressources en eau et des habitats aquatiques, surtout face aux périodes de sécheresse de plus en plus fréquentes. Dans cet article, nous explorons le rôle essentiel des petites retenues d’eau dans la préservation de l’eau, des zones humides et de la biodiversité, en nous appuyant sur des recherches scientifiques françaises et internationales.

Un climat à la saisonnalité accrue : crues hivernales, assecs estivaux
Le climat français présente une stabilité globale de la pluviométrie, mais cette stabilité est contrebalancée par une irrégularité dans la répartition des précipitations sur le territoire. Les pluies hivernales, bien que généralement abondantes, sont confinées dans une période relativement courte, tandis que les étés connaissent des périodes prolongées de sécheresse. Cette disparité saisonnière crée des défis majeurs pour la gestion de l’eau en France.
Durant les mois d’hiver, les précipitations abondantes peuvent saturer les sols et alimenter les rivières en eau. Cependant, cette eau n’est pas toujours efficacement retenue dans les réservoirs naturels, tels que les nappes souterraines, en raison de l’imperméabilité croissante des sols et de l’évapotranspiration due à la végétation. Par conséquent, une partie importante de l’eau de pluie est rapidement évacuée vers les cours d’eau, augmentant le risque de crues soudaines et d’inondations.
D’autre part, les étés chauds et secs accentuent la pression sur les ressources en eau, car l’évaporation et la transpiration des plantes augmentent, tandis que les précipitations diminuent. Les nappes souterraines, qui constituent une source cruciale d’eau potable et d’alimentation des cours d’eau pendant les périodes sèches, sont alors soumises à une pression accrue. Cette situation entraîne une diminution du débit des rivières et une baisse du niveau des nappes, compromettant ainsi la disponibilité de l’eau pour l’agriculture, l’approvisionnement en eau potable et les écosystèmes aquatiques.
Dans ce contexte, les petites retenues d’eau jouent un rôle vital en agissant comme des réservoirs de stockage temporaires. En retenant l’eau pendant les périodes de crue, elles permettent de réguler les débits des rivières et de maintenir des niveaux d’eau suffisants dans les nappes alluviales. De plus, ces retenues favorisent la recharge des nappes pendant les mois d’hiver, lorsque les précipitations sont plus abondantes, et fournissent ainsi une source d’eau indispensable pendant les périodes de sécheresse estivale.
Des cours d’eau européens fragmentés pendant des millions d’années par des embâcles et des barrages de castors
Autrefois, les cours d’eau naturels en France étaient caractérisés par leur état sauvage, avec des chenaux sinueux parsemés d’obstacles naturels tels que les embâcles formés par des chutes d’arbres et les barrages construits par les castors. Ces barrages, en particulier, ont joué un rôle crucial dans la régulation des débits d’eau, la recharge des nappes souterraines et la préservation de la biodiversité aquatique.
Les barrages de castors, par exemple, étaient répartis à travers les cours d’eau, en particulier dans les têtes de bassin, où ces animaux construisaient leurs habitats en aménageant des barrages pour créer des étangs. Ces barrages étaient conçus pour retenir l’eau pendant les périodes de crue, ce qui permettait de limiter les inondations en aval et de maintenir des niveaux d’eau stables en amont. De plus, ces barrages contribuaient à la recharge des nappes souterraines en permettant à l’eau de s’infiltrer lentement dans le sol.
La présence de ces obstacles naturels favorisait également la formation d’habitats diversifiés et la création de zones humides, qui étaient essentielles pour de nombreuses espèces de plantes et d’animaux aquatiques. Les zones humides offraient des habitats
de reproduction, de nourrissage et d’abri pour une grande variété d’espèces, contribuant ainsi à la richesse et à la diversité des écosystèmes aquatiques.
Cependant, avec le développement humain et l’expansion des activités agricoles et industrielles, de nombreux de ces petits barrages ont été détruits ou modifiés pour répondre aux besoins humains. En France, la politique de continuité écologique a entraîné la destruction de nombreux petits barrages anciens dans le but de restaurer la libre circulation des poissons migrateurs et de restaurer les écosystèmes fluviaux.
Cette destruction a eu des conséquences néfastes sur les écosystèmes aquatiques, notamment une baisse significative du niveau d’eau à l’amont des barrages détruits. Cette baisse du niveau d’eau menace la biodiversité en réduisant les habitats disponibles pour les espèces aquatiques et en perturbant les écosystèmes associés. De plus, la disparition des barrages de castors prive les cours d’eau de mécanismes naturels de régulation des débits d’eau et de recharge des nappes souterraines, ce qui rend les écosystèmes plus vulnérables aux effets du changement climatique et de l’activité humaine.

Le cas français
La politique de continuité écologique mise en œuvre en France, qui vise à restaurer la libre circulation des poissons migrateurs et à rétablir les écosystèmes fluviaux, a souvent impliqué la destruction de petits barrages anciens. Cependant, cette approche a eu des conséquences imprévues sur les écosystèmes aquatiques, en particulier dans le contexte de changement climatique actuel.
La destruction de ces petits barrages a entraîné une diminution significative du niveau d’eau à l’amont des ouvrages concernés, ce qui a conduit à des situations d’assec dans de nombreuses rivières, en particulier pendant les périodes de sécheresse. Ces assecs ont des effets dévastateurs sur les écosystèmes aquatiques, entraînant la mortalité des poissons et d’autres organismes aquatiques, la dégradation des habitats et la perte de biodiversité.
Cependant, là où ces petits barrages ont été préservés, ils ont joué un rôle crucial en maintenant des niveaux d’eau stables et en créant des habitats favorables à la biodiversité aquatique. En ralentissant le débit de l’eau et en retenant l’eau pendant les périodes de crue, ces retenues ont permis de maintenir des conditions hydrologiques plus stables, offrant ainsi aux espèces aquatiques un refuge contre les fluctuations extrêmes de l’environnement.
De plus, les retenues préservées ont également contribué à préserver les habitats riverains et les zones humides associées, qui sont essentiels pour la biodiversité et le fonctionnement des écosystèmes fluviaux. Ces habitats fournissent des zones de reproduction, d’alimentation et d’abri pour de nombreuses espèces végétales et animales, contribuant ainsi à la richesse et à la diversité des écosystèmes aquatiques.
La continuité hydraulique au service des continuités longitudinales et latérales : le rôle clé de la cote du fil de l’eau
La préservation des petites retenues d’eau le long des cours d’eau favorise la continuité hydraulique, un aspect crucial pour le maintien des écosystèmes aquatiques sains. Cette continuité hydraulique se décompose en deux dimensions : la continuité longitudinale, qui concerne le flux d’eau le long du cours d’eau, et la continuité latérale, qui concerne les connexions entre le cours d’eau et ses zones humides adjacentes.
Tout d’abord, la continuité hydraulique longitudinale est essentielle pour permettre aux espèces aquatiques de se déplacer le long des cours d’eau, que ce soit pour la reproduction, la recherche de nourriture ou la migration. Les petites retenues d’eau agissent comme des obstacles naturels qui maintiennent le niveau d’eau, créant ainsi des habitats propices à la survie des poissons et d’autres espèces aquatiques. L’abaissement du niveau d’eau, qu’il soit causé par la destruction des retenues ou par d’autres interventions humaines, compromet cette continuité en fragmentant les habitats et en limitant la mobilité des espèces.
Ensuite, la continuité hydraulique latérale est tout aussi importante, car elle permet les échanges d’eau, de nutriments et de matériaux entre le cours d’eau et ses zones humides adjacentes. Les zones humides jouent un rôle crucial dans la filtration de l’eau, la régulation des inondations, la recharge des nappes phréatiques et la fourniture d’habitats pour de nombreuses espèces végétales et animales. Les petites retenues d’eau contribuent à maintenir ces connexions latérales en maintenant des niveaux d’eau stables dans les cours d’eau, ce qui permet aux zones humides de prospérer.

Cependant, tout abaissement du niveau d’eau compromet cette continuité hydraulique et met en péril la biodiversité et les zones humides. Lorsque le niveau d’eau diminue, les zones humides adjacentes sont privées de l’eau dont elles ont besoin pour survivre, ce qui entraîne une dégradation de leur qualité et de leur étendue. De plus, la fragmentation des habitats aquatiques affecte la diversité des espèces et peut entraîner des perturbations écologiques à long terme.
Qualité de l’eau et retenues d’eau
La préservation des petites retenues d’eau revêt une importance capitale pour la sauvegarde de nos précieuses ressources en eau douce, ainsi que pour la préservation des zones humides et de la biodiversité qui en dépend. Ces petites retenues jouent un rôle crucial en maintenant la continuité hydraulique des cours d’eau, ce qui permet de préserver les écosystèmes aquatiques et terrestres face aux défis croissants posés par le changement climatique.

En assurant la continuité hydraulique, les petites retenues d’eau contribuent à maintenir des débits stables dans les cours d’eau, ce qui est essentiel pour la survie des espèces aquatiques, la préservation des habitats et la régulation des écosystèmes. En retenant l’eau pendant les périodes de crue et en permettant une recharge efficace des nappes souterraines pendant les périodes de précipitations, ces retenues atténuent les effets des sécheresses et des inondations, offrant ainsi une certaine résilience aux écosystèmes face aux fluctuations climatiques.
De plus, les petites retenues d’eau favorisent la création et le maintien des zones humides, des écosystèmes d’une importance écologique majeure. Les zones humides fournissent une multitude de services écosystémiques, tels que la filtration de l’eau, la protection contre les inondations, la régulation du climat et la fourniture d’habitats pour une diversité d’espèces végétales et animales. La préservation de ces zones humides est donc essentielle pour maintenir la biodiversité et assurer le fonctionnement équilibré des écosystèmes.
Face à ces enjeux, il est impératif que les décideurs politiques et les gestionnaires des ressources en eau intègrent ces éléments dans leurs stratégies de gestion et de préservation de l’eau. Cela implique de reconnaître la valeur des petites retenues d’eau en tant qu’éléments clés des écosystèmes aquatiques, de promouvoir leur préservation et de veiller à ce qu’elles soient gérées de manière durable et équilibrée. De plus, il est crucial d’adopter des approches intégrées qui prennent en compte les interactions complexes entre l’eau, les écosystèmes et le climat, afin de garantir la pérennité de nos ressources en eau et la santé de nos écosystèmes pour les générations futures.
Conclusion
La préservation des petites retenues d’eau est essentielle pour préserver nos ressources en eau douce, les zones humides et la biodiversité associée. En assurant la continuité hydraulique, elles permettent le maintien des écosystèmes aquatiques et terrestres face aux défis du changement climatique. Il est impératif que les décideurs politiques et les gestionnaires des ressources en eau prennent en compte ces éléments dans leurs stratégies de gestion et de préservation de l’eau.